
Les États-Unis vont fournir 890 millions de dollars U.S. supplémentaires pour l’aide humanitaire aux victimes du conflit en Syrie, a annoncé jeudi le secrétaire d’État américain John Kerry lors d’une conférence des pays donateurs à Londres, laquelle doit tenter de lever 9 milliards de dollars en faveur des 18 millions de Syriens victimes de la guerre qui a fait plus de 260 000 morts.
M. Kerry a précisé que 600 millions de dollars seraient utilisés pour l’aide urgente aux réfugiés et aux populations assiégées. Les 290 millions de dollars restants permettront de financer l’éducation d’enfants réfugiés en Jordanie et au Liban. Ces sommes concernent l’année fiscale américaine qui s’achève en août 2016.
«Les États-Unis ont fourni 4,5 milliards de dollars pour aider les réfugiés syriens et les populations déplacées à l’intérieur de la Syrie, et je suis fier que cela fasse de nous le plus grand (pays) donateur au monde», a dit M. Kerry.
Le chef de la diplomatie américaine a appelé les autres pays présents à la conférence des donateurs à augmenter leur propre contribution pour aider à endiguer la crise des réfugiés, qu’il a qualifiée de «stupéfiante».
«Quand on voit des personnes réduites à manger de l’herbe et des animaux sauvages pour survivre au jour le jour, cela ne peut que choquer toute personne civilisée. Et nous devons tous contribuer à une réponse à cela», a dit M. Kerry.
Au mois de septembre, a ajouté M. Kerry, le président américain Barack Obama réunira un sommet sur les réfugiés en marge de l’assemblée générale des Nations unies. «D’ici là, nous appelons la communauté internationale à augmenter d’au moins 30 % la réponse à l’appel de fonds humanitaire pour les réfugiés», a-t-il dit.
Besoin de plus d’argent
La réunion de Londres doit tenter de lever neuf milliards de dollars en faveur des 18 millions de Syriens victimes de la guerre, avec l’ambition d’endiguer la crise des réfugiés qui, du Moyen-Orient à l’Europe, pèse sur les pays d’accueil.
Pour répondre au drame syrien, les donateurs devront se montrer plus généreux que lors de la précédente conférence, en 2015, où seuls 3,3 milliards avaient été récoltés sur les 8,4 milliards réclamés.
Soucieux de montrer l’exemple, le gouvernement britannique a promis 1,2 milliard de livres (1,74 milliard de dollars) supplémentaires d’ici 2020 pour aider les victimes du conflit en Syrie.
«Nous avons besoin de plus d’argent pour répondre à cette crise et nous en avons besoin maintenant», a dit David Cameron, qui a précisé qu’à la mi-journée, la conférence avait déjà réuni 2 milliards de dollars.
Percée du régime à Alep
La chancelière allemande Angela Merkel, coorganisatrice de la conférence, a promis elle de débloquer 2,3 milliards d’euros (plus de 3,5 milliards de dollars U.S.) d’ici 2018, «dont 1,1 milliard d’euros (près de 1,7 milliard de dollars) pour la seule année 2016».
«Nous voulons faire en sorte que plus jamais on n’arrive à une situation où on réduit la nourriture donnée aux réfugiés», a souligné la chancelière. «Aujourd’hui est une journée d’espoir», a-t-elle déclaré.
Sur le terrain, le régime de Damas, appuyé par les frappes de son allié russe, effectuait une importante percée militaire à Alep (nord), rendant vaines toutes discussions sur le front diplomatique selon l’opposition. L’armée syrienne est entrée jeudi dans deux localités chiites assiégées depuis trois ans par les rebelles.
Paris et Washington ont dénoncé ces frappes, et ont lié le naufrage du processus de Genève à la situation sur le terrain.
«La poursuite de l’assaut des forces du régime syrien – renforcées par les frappes russes (…) a clairement montré le désir de chercher une solution militaire plutôt que de permettre une solution politique», a accusé M. Kerry.
La France a elle aussi condamné «l’offensive brutale menée par le régime syrien, avec le soutien de la Russie». Son ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius a jugé que les «circonstances dramatiques» sur le terrain «privaient de sens» les discussions de Genève «auxquelles ni le régime de Bachar al-Assad ni ses soutiens ne souhaitent visiblement contribuer de bonne foi».
Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), cette avancée est la plus importante du régime dans la province d’Alep depuis 2012. Elle a été possible notamment grâce aux bombardements intensifs menés par l’armée de l’air russe contre les positions rebelles.
Kerry réclame l’arrêt des bombardements russes
Au cours d’une discussion «musclée» avec son homologue russe Sergueï Lavrov, M. Kerry a rappelé à la Russie qu’une résolution du conseil de sécurité de l’ONU appelait à un cessez-le-feu immédiat en Syrie pour permettre l’acheminement de l’aide aux villes assiégées.
«J’ai eu une conversation avec le ministre Lavrov ce matin. Nous sommes tombés d’accord sur le fait qu’il faudra discuter de la manière d’appliquer le cessez-le-feu», a déclaré à Londres M. Kerry.
À Moscou, le ministère des Affaires étrangères a annoncé que MM. Lavrov et Kerry avaient déploré la suspension des négociations de paix syriennes et exprimé l’espoir que cette pause serait «aussi courte que possible».
Après six jours de discussions avec le régime d’une part, l’opposition de l’autre, l’émissaire de l’ONU Staffan de Mistura a annoncé mercredi soir à Genève une «pause» dans le processus de discussions sur la Syrie censé enclencher une solution politique au conflit.
Le diplomate onusien s’est refusé à parler «d’échec» et a déclaré avoir fixé la date du 25 février pour une reprise des discussions, mais celle-ci semble tout sauf certaine.
La suspension de ces discussions «montre à quel point les divisions sont profondes», a estimé le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon, à l’ouverture de la conférence des donateurs à Londres.
«Les jours qui viennent doivent être utilisés pour revenir à la table des négociations, et non pour sécuriser davantage de gains sur le champ de bataille», a-t-il insisté, tandis que le premier ministre britannique David Cameron a appelé à «continuer» à travailler pour une solution politique.
Plus de 250 000 morts
Plus de 260 000 morts, plus de la moitié de la population déracinée et un pays en ruines: déclenchée il y a près de cinq ans, la révolte en Syrie contre le régime de Bachar al-Assad s’est muée en une guerre dévastatrice.
L’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), qui dispose d’un large réseau de sources en Syrie, a comptabilisé 260 758 morts, dans leur grande majorité des combattants (bilan du 31 décembre 2015).
Plus de 76 000 civils ont été tués dans le conflit, qui a débuté par la répression de manifestations pacifiques et évolué en une guerre complexe opposant nombre d’acteurs et impliquant des puissances étrangères.
Le bilan n’inclut pas les milliers de disparus dont on ignore le sort, notamment dans les geôles du régime, et des centaines de membres des forces loyalistes chez les rebelles et les groupes djihadistes, dont l’organisation d’État islamique.
Selon un bilan de l’OSDH rendu public en mars 2015, près de 13 000 Syriens sont morts sous la torture dans les prisons du régime depuis le début du conflit. Plus de 200 000 personnes y ont été détenues.
Une organisation humanitaire syrienne a dénoncé fin janvier les incessants bombardements sur les hôpitaux et leurs «conséquences désastreuses» sur les populations. Quelque 177 hôpitaux ont été détruits et près de 700 membres du personnel de santé tués depuis 2011, selon elle.
Réfugiés et déplacés
Dans ce pays qui comptait quelque 23 millions d’habitants avant le conflit, 13,5 millions de personnes sont affectées ou déplacées par la guerre, selon l’ONU (chiffres du 12 janvier 2016).
Environ 486 700 personnes vivent actuellement dans des régions assiégées par l’armée ou par les rebelles, selon l’ONU. Des dizaines de personnes y sont mortes de malnutrition et du manque d’assistance médicale.
La guerre a aussi poussé 4,7 millions de personnes à fuir le pays. «C’est la plus grande population de réfugiés pour un seul conflit en une génération», affirmait en juillet 2015 le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR).
La Turquie est aujourd’hui la principale terre d’asile des réfugiés syriens, accueillant sur son sol entre 2 et 2,5 millions de Syriens. Quelque 250 000 d’entre eux seulement vivent dans des camps, les autres se sont installés dans les grandes villes du pays.
Le Liban accueille quelque 1,2 million de réfugiés syriens, selon des sources officielles. Plus des deux tiers des réfugiés vivent dans ce pays dans une «pauvreté extrême», selon l’ONU.
En Jordanie, quelque 630 000 sont enregistrés auprès du HCR, mais les autorités évaluent leur nombre à plus d’un million. Quelque 225 000 Syriens sont réfugiés en Irak et 137 000 en Égypte.
Les réfugiés font face à la pauvreté, à des problèmes de santé et des tensions croissantes avec les communautés locales où ils vivent dans des structures provisoires et des conditions extrêmement difficiles.
Une grande majorité des réfugiés syriens se trouvent toujours dans les pays de la région, mais ils sont de plus en plus nombreux à se rendre en Europe, à leurs risques et périls, grâce à des réseaux de passeurs.
Conséquences économiques
Selon des experts, le conflit a fait revenir trois décennies en arrière l’économie du pays, privé de quasiment tous ses revenus et dont la majorité des infrastructures sont détruites.
L’économie a connu une désindustrialisation massive en raison de la fermeture des entreprises, des faillites, des pillages et des destructions.
Les exportations ont chuté de 90 % depuis le début de la révolte, selon un haut responsable, alors que le pays est soumis à de sévères sanctions internationales.
Selon le ministre du Pétrole, les pertes directes et indirectes dans le secteur pétrolier et gazier s’élèvent à 58 milliards de dollars.
En mars 2015, une coalition de 130 ONG affirmait que la Syrie vivait quasiment sans lumières, 83 % ne fonctionnant plus en raison de la guerre. La ville d’Alep (nord) est la plus touchée, avec 97 % de ses lumières éteintes la nuit.